DIFFÉRENTES APPROCHES THÉORIQUES DU MOUVEMENT DES SANS TERRE AU BRÉSIL
Abstract
I) INTRODUCTION
La nature même du cheminement heuristique et la construction du savoir scientifique, la concurrence entre divers paradigmes structurant la réalité et le débat épistémologique sur les méthodes requises pour son étude, font que tout phénomène puisse être l´objet d´approches cognitives et de théories explicatives complémentaires ou concurrentes, innovantes ou archaïques selon les défenseurs de chaque thèse. La réalité est ainsi décomposée, fragmentée en une multitude de sens et seul un positiviste endurci pourrait prétendre à l´unicité du savoir scientifique. Mais, si tout est ouvert au débat, comment faire sens parmi les différentes approches qui essayent d´étudier et expliquer les phénomènes et processus sociaux, politiques, religieux, etc. ? Si des lectures concurrentes existent et se développent, c´est en particulier car il n´y existe pas de réponse claire à cette question, ou, en tout cas, la réponse ne satisfait nullement une partie de la communauté scientifique.
L´étude des mouvements sociaux ne fait pas exception à cette polymorphie épistémologique. Chaque auteur et chaque courant présentant différents postulats destinés à aider à comprendre et expliquer les mouvements sociaux. Ainsi, par exemple, les apôtres de la théorie des ressources défendront des positions différentes sur la nature, causes et conséquences de la mobilisation que les défenseurs de la théorie des structures des opportunités politiques. Néanmoins, ces approches peuvent être appliquées à l´étude du même phénomène.
Dans cette optique, l´objectif de ce bref travail est de vérifier comment ces différentes théories peuvent s´appliquer à l´étude du même problème, non pas pour démontrer quelle approche s´ajuste mieux à la problématique en question, mais pour proposer que les problèmes sociaux peuvent être construits et expliqués par différents prismes théoriques.
Le cas d´étude choisi sera celui du Mouvement des Sans Terre au Brésil. Après un bref résumé historique sur la genèse et les caractéristiques du mouvement, je tenterai d´appliquer les principales théories pour voir dans quelle mesure peuvent-elles, ou pas, aider à comprendre et expliquer le Mouvement des Sans Terre.
II) HISTORIQUE ET CARACTÉRISTIQUES DU MOUVEMENT DES SANS TERRE.
Selon leur propre définition, le Mouvement des Travailleurs Ruraux sans Terre (MST) est une organisation de paysans qui luttent pour la terre et la reforme agraire au Brésil. C´est un mouvement de masses autonome, à l´intérieur du mouvement syndical mais sans liens politico-partisans ou religieux . Pour accomplir la reforme agraire, le mouvement avance trois formes d´action principales :
a. Organiser les paysans, véritables forces de base du mouvement, en construisant un vaste mouvement de masses qui revendique leurs droits.
b. La reforme agraire est une lutte de toute la société. Il faut donc faire prendre conscience à l´ensemble des secteurs sociaux, urbains comme agraires, que la reforme implique des transformations politiques, économiques et sociales qui bénéficieront à toute la société.
c. Développer toute forme de pression nécessaire pour garantir que le gouvernement déclenchera le processus de reforme agraire. Parmi les formes de pression ont peut citer les marches, les audiences publiques ou les occupations des latifundios.
Mais le MST n´est pas un mouvement foncièrement nouveau dans l´histoire de la lutte pour la terre au Brésil. Trois antécédents historiques ont précédé et influencé sa genèse. Entre 1950 et 1964 trois organisations paysannes avec des revendications agraires se développent (Harnecker, 2003 :19) :
1. Les ligues paysannes se forment en 1945, réunissant paysans et métayers tentant de résister à l´expulsion de leurs terres et au régime salarié. Ces ligues foisonnent dans tout les Etats et dépendaient directement du parti communiste. Mais, lors de la prohibition du parti communiste en 1947, les Ligues sont fortement réprimées. S´ensuit une période difficile jusqu´à leur disparition en 1964 lors du putsch militaire. Les ligues ont été influencées fortement par les idéologies et les partis de gauche.
2. En 1954, le Parti Communiste (suite au retour aux affaires), dans une volonté d´unir les travailleurs paysans et les ouvriers, fonde l´Ultab (Union des agriculteurs et travailleurs agricoles) afin de coordonner l´action des différentes associations paysannes.
3. Enfin, le Master (mouvement des travailleurs sans terre) eut une portée très limitée (Etat du Rio Grande do Sul). Il disparut également avec l´avènement des militaires au pouvoir.
On constate donc que le mouvement paysan ne résista pas à la forte répression exercée à leur égard par le pouvoir militaire dans les premières années de vie du régime. A coté de la répression physique, les militaires mirent sur pied une loi fédérale, Le Statut de la Terre, avec la volonté de démobiliser les paysans et de limiter le débat national sur la question agraire. Cette loi réglementait la possession, l´occupation et le morcèlement des terres (Fernandes, 1996).
Il fut nécessaire un assouplissement progressif de la dictature vers la fin des années 70 et début 80 pour voir l´émergence et la création du MST. Celui-ci est le produit d´un triple contexte particulier sur le plan économique, sociopolitique et idéologique (Harnecker, 2003 :23) :
a) Le contexte économique est marqué à partir des années 60 par une rapide modernisation capitaliste et mécanisation du travail et de l´exploitation agricole dans le but de dynamiser une production destinée en sa majorité à l´exportation. Cette logique, prônée à partir des années 60 par la CEPAL et sous l´influence de travaux de Raúl Prebisch, cherchait à mettre en place le Modèle Substitutif des Importations et où les devises reçues servaient à financer le développement du secteur industriel. Cependant, cette politique de modernisation eut des conséquences graves pour les paysans, métayers et petits producteurs. La production se déplaçait des cultures traditionnelles vers des cultures à haut rendement et faible main d´œuvre, comme le soja. Les paysans sans terre et sans emploi émigrèrent vers les villes qui n´embauchaient que très peu suite à la crise économique de la fin des années 70, ou vers des nouvelles zones à coloniser. Mais ces nouvelles terres à coloniser manquaient des conditions nécessaires (infrastructure, peu de moyens de production, absence d´aide sociale, etc.) permettant aux paysans de vivre de leur terre. Au fur et à mesure se développèrent des mouvements de contestation et résistance qui formèrent les premières bases du MST.
b) Deux processus marquèrent fortement le contexte sociopolitique. Le premier fut le processus de démocratisation entamé à la fin des années 70 suite à l´échec du "miracle économique" Brésilien. Le deuxième facteur fut la syndicalisation du combat rural, qui s´organisa à partir des années 80 et en résistance aux syndicats officiels, cooptés par le pouvoir. Le mouvement syndical de combat, fondé sur les bases de la lutte sociale, fut l´un des premiers supporters du naissant MST.
c) Le contexte idéologique fut fortement influencé par le rôle de l´église catholique et des pastorales ecclésiastiques. On prônait la théologie de la libération et les prêtres incitaient les paysans à s´organiser et à lutter pour leur salvation sur cette terre.
Ces trois contextes conduisent de la période de gestation du mouvement à partir de 1978 (où se multiplient les actions de certains groupes paysans qui réussissent à se faire octroyer certaines terres par les autorités), à la fondation institutionnelle du MST en janvier 1984. Lors de la première rencontre nationale des travailleurs sans terre du Brésil, plus de 100 représentants de 13 Etats et divers dirigeants syndicaux étaient présents à cette réunion. Le mouvement se voulait un mouvement autonome de masses qui lutte pour la terre et la reforme agraire. Il ne s´agit pas, selon leur propre définition, ni d´un mouvement syndical ni d´un mouvement ecclésiastique, et se veut indépendant et autonome de ces groupes, seul les travailleurs ont le contrôle et sont responsables.
Germán Clulow es Licenciado en Estudios Internacionales por la Universidad ORT –Uruguay, Master en Ciencia Política por la Université de Genève – Suiza, y Master en Estudios de Desarrollo por el Instituto de Altos Estudios Internacionales y de Desarrollo (IHEID-The Graduate Institute) Ginebra, Suiza.
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